C'est dans l'épreuve qu'un capitaine fait ses preuves

Attention travaux - Technicien polyvalent

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Cet article est issu de la rubrique "Attention travaux" qui traite de la question de la préparation et de la maintenance d'un bateau de grand voyage, question qu'il ne faut pas négliger car elle est une activité très consommatrice de temps et de budget. Le sujet est ici les compétences du capitaine "technicien polyvalent".

Au-delà d'une trop facile mise en cause de l'environnement marin, la vulnérabilité de nos voiliers s’explique aussi par le manque de compétences de l'équipage. Même si notre ego de navigateur en souffre, le diagnostic n'a cependant rien de surprenant ou d'insultant, le métier de marin au long cours demandant une polyvalence extraordinaire. Il exige d'être voilier, mécanicien, électricien, informaticien, plombier, électronicien, gréeur, menuisier…. À part Léonard de Vinci, aucun être humain n'est capable de réunir tous ces savoirs.


Le premier niveau de l'incompétence du marin s'exprime par des insuffisances dans les missions de prévention. Beaucoup d'entre nous savent, par exemple, qu'il faut vidanger un moteur ou changer les filtres à gasoil régulièrement. Mais savez-vous qu'il faut également détartrer de temps en temps le système de refroidissement d'un moteur de bateau avant qu'il ne commence à chauffer pour une raison mystérieuse ? Et pensez-vous à graisser les charnières de vos panneaux de pont avant qu'elles ne cassent parce que bloquées par le sel ? Et vérifiez-vous de temps en temps l'étanchéité de votre console de barre avant que vos instruments de navigation ne commencent à se mettre en court-circuit à cause de la présence d'eau de mer ?

La différence entre un marin novice et un marin d'expérience s'affirme ici. Le novice a une vision abstraite du temps nécessaire à l’entretien d’un bateau. Le vieux loup de mer en a une vision très précise sous forme de liste annuelle, mensuelle ou hebdomadaire de tous les points de révision prévenant les pannes classiques. Bien sûr les novices les plus pragmatiques ne partent pas autour du monde pour se transformer en technicien de maintenance polyvalent et pensent à juste titre, qu'ils existent des professionnels pour assumer ces tâches. Le raisonnement est cohérent, mais il est soumis à deux conditions incontournables. La première est d'avoir un compte en banque à la hauteur de ses exigences car la différence de coût d'entretien par l’équipage ou par des hommes de l’art peut varier dans un ratio d'un pour dix. La deuxième est de trouver les dits professionnels au moment opportun et cela peut tenir de l'exploit dans certaines régions appréciées des navigateurs au long cours.

L'incompétence du marin se traduit aussi dans le nombre d'équipements détériorés ou détruits du fait d'une mauvaise utilisation, d'une erreur de manipulation ou simplement de l'ignorance. Là aussi les exemples sont infinis : un lazy-bag déchiré parce que mal ouvert au moment de hisser la voile, des batteries mises hors-services car leur étiquette « Étanche » laissait penser qu'il était inutile d'en contrôler le niveau, un appareil électronique grillé du fait de l'inversion de la polarité électrique…

La différence entre un navigateur d'expérience et un débutant se manifeste là encore de manière forte. Le vieux routier casse peu, reste serein en cas de bévue destructrice et sait réparer vite. À l'inverse, le débutant casse beaucoup, se désespère à chaque déprédation et affronte la réparation comme un sacerdoce. Que les apprentis en grand voyage se rassurent, le parcours initiatique qui vous sépare du statut de capitaine chevronné n'a rien de mystique. Si le marin d'expérience casse moins et répare plus vite qu'un néophyte, c'est tout simplement parce qu'il a déjà cassé et donc qu'il a eu à réparer. Positivons alors sur la base d'un nouvel adage : « C'est dans l'épreuve qu'un capitaine fait ses preuves ». Ou plus prosaïquement : « C'est en cassant qu'on apprend à réparer ».

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